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3979.jpgDans un entretien accordé au journal de Al Adala wa Tanmya (dans son édition du lundi 12 novembre 2007), Driss Lachgar s'exprime sans langue de bois sur l'actualité politique du Maroc (bilan des élections 2007, formation du gouvernement, transition démocratique, indépendance des institutions, conformité aux lois, huitième législature...)

Voici une partie de l'entretien.

PJD: Les élections de septembre 2007, ont connu une régression de l’USFP, quelles leçons tirez-vous de ces résultats ?

 

Driss Lachgar : Les résultats des élections 2007 interpellent tous les acteurs politiques, et interrogent le pays dans son ensemble, sur son présent et son avenir. Les résultats de 2007 sont une évaluation de la transition démocratique, une évaluation de la « nouvelle ère ». Ces résultats mettent le Maroc à la croisée des chemins.

Le Maroc avait donné un exemple aux pays en développement, d’une transition douce et progressive, selon le consensus des observateurs internationaux. Ceci ressort notamment des rapports des institutions internationales les plus fiables, telles le Parlement Euro méditerranéen.

Par conséquent, je suis surpris de voir qu’il y en a qui estime être sorti gagnant de ces élections, et je suis également surpris de voir certains considérer qu’ils sont les seuls perdants. La réalité est tout autre : le champ politique dans son ensemble a perdu. Au profit de qui ? Nul ne le sait.

 

Cette défaite généralisée ressort du taux de participation : malgré tous ce qui a été entrepris par les partis et les acteurs de la société civile pour combattre le dénigrement systématique de la politique dans notre pays.

 

En effet :

-         le PJD a défendu la culture de la participation ;

-         l’USFP a lutté contre le cynisme de la gauche marocaine, et a milité afin que l’ensemble de la gauche adhère au projet de transition démocratique. Ainsi, des partis qui avaient pour habitude de boycotter les élections, ont participé aux législatives de 2007 ;

-         des sommes importantes d’argent ont été engagées par les associations de la société civile ; et

-         un discours royal a appelé à une participation massive aux législatives.

 

Quelle a été la réponse des électeurs ? Un fort taux d’abstention.

 

Arrêtons la langue de bois qui consiste à faire porter le chapeau exclusivement aux partis politiques. Toutes les institutions de ce pays ont une part de responsabilité dans cette désaffection des Marocains.

 

(…)

 

PJD: Est ce que ceci signifie que l’USFP a été une des victimes de l’utilisation de l’argent sale (la corruption électorale) lors des législatives ?

 

DL : Il n’y a pas de doute sur le fait qu’il y a d’autres victimes de ces pratiques, mais l’USFP en a particulièrement souffert.

Je crains que la démocratie naissante de notre pays, ne se transforme en un des modèles de démocratie de certains pays d’Amérique Latine, où les mafias et les gangs de la drogue se partagent les voix des électeurs.

Plusieurs voix se sont levées contre ces pratiques avant les élections de septembre.

 

Malheureusement, les résultats ont démontré que l’adversaire le plus redoutable de la démocratie est la corruption des électeurs.

(…)

 

PJD : Vous prétendez que les résultats de votre parti sont dus à une stratégie globale dont le but est de détruire l’ensemble du champ politique au Maroc, mais vous ne mentionnez pas la responsabilité de votre parti.

 

DL : Sans doute, nous sommes en partie responsable de nos résultats.

 

Si je prends l’exemple de la circonscription de Rabat-Challa, sur les trois gagnants, il y en a un qui n’a pas usé de la corruption des électeurs pour gagner. Et parmi les candidats globalement, un certain nombre a mené une campagne propre.

Quant à moi, je suis descendu à l’arène électorale à Rabat-Challa en traînant derrière moi 10 ans de participation gouvernementale. Le candidat qui est en position de responsabilité n’est pas dans la même situation que le candidat de l’opposition.

Nous avons été confrontés à une réalité difficile, dans laquelle vit une large tranche des électeurs. Plus des deux tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

Nous avions fait le pari des grands chantiers et réformes entrepris. Nous avons également fait le pari d’un engagement de l’Etat contre la corruption électorale…

Il m’est parvenu des informations qui me rendent indulgent vis-à-vis de ceux qui ont vendu leurs voix : quand une voix vaut 400 ou 500DH, nous pouvons imaginer la tentation pour une famille de 5 ou 7 électeurs.

 

PJD : Certains pensent que les résultats de l’USFP ne sont pas dus à la pauvreté des électeurs, mais au fait que les grands projets menés par  l’USFP n’ont pas répondu aux attentes des couches populaires ?

 

DL : Si cette analyse était juste, le PJD (seul grand parti de l’opposition) aurait dû récolter des voix importantes chez ces couches populaires. Or, nous savons tous que ce sont les classes moyennes qui ont voté pour le PJD.

La corruption des électeurs a été un facteur déterminant des législatives 2007. D’ailleurs, si vous lisez attentivement les résultats, vous verrez que et l’USFP et le PJD se sont classés dans les dernières positions dans les quartiers les plus pauvres.

 

PJD : Nous pouvons avoir une lecture différente des résultats des élections de septembre : le peuple marocain ne voudrait plus des partis politiques tout court ?

 

DL : Tout à fait. Vous confirmez mon analyse de départ : Le Maroc est à la croisée des chemins.

Le plus grand fléau qui pourra atteindre les partis et les institutions de ce pays, et que les Marocains adhèrent à cette culture de corruption, et que personne ne soit plus interpellée par l’utilisation massive de l’argent sale.

Si nous persistons sur cette voie, nous ressemblerons de plus en plus à un modèle Egyptien ou Tunisien de la vie publique.

En effet, nous vivons en ce moment, l’émergence d’un « parti » qui va rallier tous les notables et par conséquent, grâce à la « démocratie des urnes », battre tous les partis.

 

PJD : De quel parti parlez-vous?

 

DL : Aucun des partis candidats aux élections, n’est parvenu à faire élire une liste complète dans aucune des circonscriptions locales. Alors qu’une personne (en l’occurrence Monsieur Fouad Ali El HIMA) sans appartenance politique débarque 15 jours avant le lancement de la campagne électorale et rafle tous les siège de la circonscription de Skhour Rhamna.

(…)

 

PJD : Une déclaration de deux conseillers du Roi, prétend qu’ils ne sont pas intervenus dans la formation du gouvernement.

 

DL: une lecture attentive de l’article 24 de la constitution démontre clairement que c’est le Roi qui a le pouvoir de nomination des membres du gouvernement. Personne ne lui dispute ce pouvoir. Personne n’imagine que quelqu’un veuille le lui partager.

En contrepartie, l’article 24 prévoit également que le pouvoir de proposition est entre les mains du premier ministre, et exclusivement du premier ministre. Personne n’a le droit de lui partager ce pouvoir, ni un ami, ni un fonctionnaire, ni un conseiller …

 

Afin de préserver nos institutions et l’équilibre des pouvoirs (qu’il me semble nous souhaitons tous) chacun doit exercer son pouvoir dans son intégralité et sans qu’une autre institution ne puisse intervenir.

 

Les questions que nous nous posons sont:

-         le premier ministre a-t-il exercé son pouvoir de proposition?

-         A-t-il pu lors de ces tractations avec le Roi émettre des propositions ?

-         A-t-on respecté la constitution?

-         Qui a proposé les onze ministres sans appartenance politique et les a imposés à des partis ?

-         Qui a proposé Touria Jebrane, et El Ghahs et a même voulu les imposer à l’USFP ?

Si j’étais à la place de El Gahs, j’aurais refusé d’être ministre au nom d’un parti avec lequel j’ai pris autant de distance.

 

Le pouvoir de proposition a été dépouillé de son contenu.

 

Nous ne disputons pas au Roi le pouvoir de nomination. Mais nous nous attachons avec fermeté à ce que le pouvoir de proposition reste entre les mains du premier ministre, conformément à la constitution.

(…)

 

PJD : est ce que c’est votre solidarité sans faille au gouvernement de Monsieur Jettou, qui a fait que vous avez fermé les yeux sur certains « dépassements » ?

 

DL : Ne fermons nous pas tous les yeux, quand la majorité et l’opposition, assistent à l’agression des étudiants par les forces de l’ordre, devant le Parlement, et que tout le monde se contente d’exprimer des regrets!

 

Le temps est venu pour l’USFP, d’exprimer haut et fort notre distance vis-à-vis de cette majorité gouvernementale, sur tous les sujets de ce type.

Nous sommes prêts à nous investir pleinement dans tous les projets porteurs des réformes nécessaires, notamment les réformes politiques.

Cependant, si ces réformes tardent à se réaliser, nous sortirons de cette majorité.

 

PJD: vous avez été très critique, et vous vous êtes même moqués du ministère sans portefeuille (de Monsieur El Fassi  dans le gouvernement de Monsieur Jettou). Vous considériez, ce poste inacceptable politiquement.

Cependant, Monsieur El Yazghi a accepté un ministère sans portefeuille, n’est ce pas là une atteinte à la dignité politique de votre parti ?

 

DL : Malgré tous les arguments qu’on m’a exposé, je ne suis pas convaincu par ce poste sans portefeuille.

En réalité, je ne suis pas convaincu par la méthode de nomination de ce gouvernement, et je ne suis pas convaincu par ce gouvernement tout court.

(…)

 

PJD : Pensez-vous qu’il y a eu une régression dans le processus démocratique ?

 

DL: D’une part, les discours royaux continuent à affirmer l’attachement aux mêmes principes démocratiques qui ont inspiré l’alternance. D’autre part la réalité est tout autre : ce qui s’est passé à Rhamna porte un coup dur à 10 années de transitions démocratiques, à la réputation du Maroc dans le monde, et auprès des organisations non gouvernementales.

 

Prenez le temps d’imaginer la situation du champ politique au Maroc aujourd’hui, si le seuil de 6% proposé (ou même 10% selon une proposition initiale) avait été adopté !

La balkanisation actuelle du champ politique, est due à cette levée de bouclier d’une majorité de politiciens,d’analystes et d’hommes de la loi et du droit, contre la loi des partis proposée.

Ces personnalités devraient se remettre en question aujourd’hui.

 

PJD : la 8ième législature a connu des événements marquants. Pouvez-vous me donner votre avis sur les événements suivants :

 

1)      la réunion de la commission des affaires étrangères, sa déclaration sur la visite du roi d’Espagne à Ceuta et Melila, et sa décision de transmettre une lettre à l’ambassade d’Espagne.

 

DL : La seule institution de la Chambre des députés qui a le droit de s’adresser à des instances externes au Parlement est la présidence de la Chambre des députés.

Pour cette raison, je souhaite marquer mon opposition à cette démarche.

 

Une deuxième remarque de forme : chaque commission doit commencer par élire son bureau avant de pouvoir effectuer la moindre démarche. C’est ce bureau qui décide de la tenue des réunions dans le cadre d’un ordre du jour précisé par avance. Il n’est pas possible pour le Président de la Commission d’adresser directement une convocation aux membres de la Commission.

 

2)      Le vote sur la déclaration du gouvernement.

 

DL : Je vous dis avec certitude que la manière avec laquelle le vote a eu lieu est contraire au règlement interne du Parlement.

Je vais rajouter un point à la proposition du PJD : le vote doit être secret, et ceux qui sont absents ou qui ne votent pas sont comptabilisés en faveur de la déclaration du gouvernement. Si les opposants sont majoritaires, la déclaration du gouvernement est rejetée.

 

3)      Le vote sur la présidence de la Chambre des députés.

DL : Le choix du parti du Rassemblement National des Indépendants, comporte des signes de retour en arrière, sur lesquels j’espère me tromper…

 

PJD : Pourquoi avez-vous alors voté pour eux ?

 

DL : Vous ne voulez tout de même pas qu’on vote pour l’opposition !

 

PJD: A ce propos, que pensez-vous de la manière avec laquelle le Mouvement Populaire est passé à l’opposition ?

 

DL : Cette manière constitue une régression du champ politique et des partis au Maroc.

Je ne sais pas si le MP a décidé de passer à l’opposition, où s’il a été sorti de la majorité. Mais à aucun moment l’USFP n’a été consulté sur une éventuelle réduction du nombre de partis de la majorité.

Ce qui s’est produit me fait dire, « j’ai été mangé le jour où le taureau blanc a été mangé. » (i .e. notre tour à tous viendra pour subir ce type de décision arbitraire)

 

PJD : Que pensez-vous de l’exclusion des personnes qui ont perdu aux législatives 2007 du gouvernement ?

 

DL : Je suis pour la « démarche démocratique ». Mais qui dit « démarche démocratique », dit que les règles du jeu soient connues de tous avant les élections. Comment expliquez vous que des personnes qui ont perdu soient exclues et pas celles qui ne se sont pas présentées tout court ?

Si nous sommes dans une « démocratie parlementaire » (et rien ne l’indique dans notre constitution) qu’on le sache et qu’on s’y tienne ! Ceci voudrait dire que tous les ministres doivent être députés et que c’est le peuple qui choisit son premier ministre.

 

 

 

 

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